Jon Banke a été missionnaire en Afrique pendant plusieurs décennies. Celui pour qui « la raison de se lever le matin c'est l'amour de Dieu pour les Peuls » est référent des ministères parmi ce peuple chez SIM International. Il répond à nos questions à leur sujet et nous aide à les connaître.
Jon, vous connaissez bien les Peuls. Qu’est-ce qui les distingue des autres peuples qu’ils côtoient ?
Ils sont nomades, c’est déjà une différence majeure. Parce que ça influe sur leur vision du monde qui est en décalage avec les peuples sédentaires. On utilise souvent l’acronyme NOMAD pour les définir. « N » pour Networking (réseau). Les liens sont très importants pour eux, surtout à l’intérieur de la communauté. En dehors, ils sont connus comme ceux qui vendent le lait. Il y a une interdépendance avec les autres peuples. « O » pour Organisés. Les Peuls sont organisés en clans, en grandes familles. Ils partagent tout à l’intérieur de leur famille. Ils sont également très hospitaliers. « M » pour Mobilité. Leur nomadisme n’est pas du vagabondage, mais il est synonyme de ressources. Ils cherchent des accès à l’eau et aux pâturages pour leurs troupeaux. Ils sont plus attachés à leurs animaux qu’à la terre. « A » pour Autonomes. Ils ont certes des liaisons commerciales avec les autres, mais ils peuvent s’en passer. Il arrive que dans certains endroits, notamment au Nigéria, il y ait des conflits entre les Peuls qui sont bergers et les agriculteurs qui sont plus attachés à la terre. Enfin « D » pour Distincts. Ils sont différents des autres et se voient comme différents. Physiquement et vestimentairement, les Peuls sont singuliers.
En général, ils [les Peuls] restent "les étrangers" là où ils se trouvent.
Ils ont tout de même des points communs avec ces peuples. N’ont-ils pas moyen de vivre en harmonie et d’avoir des relations constructives ?
Oui, c’est possible. Les Peuls valorisent la paix, ils veulent vivre en harmonie. Au Nigeria, pour des raisons contextuelles, ils ont été assez méprisés et haïs ce qui a suscité des violences. Les groupes islamistes ont surfé sur le sentiment d’injustice des Peuls pour les utiliser comme bras armé depuis les années 2010. Un pasteur africain m’a dit un jour « si vous me dites qu’il y a des Peuls au ciel, je ne veux pas y aller »… En général, ils restent « les étrangers » là où ils se trouvent.
On entend souvent dire que le ministère parmi les Peuls est difficile, que les percées de l’Évangile sont peu nombreuses. Ça doit être décourageant pour les missionnaires !?
Il faut accepter que le travail parmi les Peuls soit une œuvre sur le long terme. Il faut accepter de ne pas observer les fruits. Il ne faut pas venir avec un programme préétabli pour eux. Ils le recevront mal. Pour moi, ce n’est pas forcément une question de barrière de l’Évangile. Je n’ai personnellement pas observé ça. Je crois que c’est un mythe de dire qu’ils sont difficiles à atteindre. Je préfère dire qu’en général ça prend du temps pour porter du fruit. Et au final, n’oublions pas que c’est Dieu qui agit.
La Bible est traduite en peul, il y a même des dialectes peuls qui ont leur traduction, comme le borgu fulfulde, au Bénin. Comment faire de la Bible un trésor à posséder pour les Peuls ?
La Bible est complètement traduite dans la langue du Cameroun, qui est l'un des 8 grands dialectes, mais c’est perçu comme ancien (similaire au vieux français). Un gros travail d’alphabétisation est en cours. Quand ils écoutent la Parole dans leur langue ça les touche. Un Peul m’a dit une fois « Dieu parle ma langue ! » Ce qui n’est pas le cas du dieu de l’Islam. Il existe des dialectes pour lesquels il y a des programmes et émissions radios pour eux. Il y a une certaine puissance d'écouter la Parole directement, sans intermédiaire. L’oralité est très importante. Il faut donc penser avec les idiomes, adages, images, etc.
Fournir des efforts et sacrifices pour les connaître et apprendre la langue est un moyen de toucher leur cœur.
Avec votre regard, qu’est-ce qui fonctionne pour toucher le cœur des communautés peules ?
Fournir des efforts et sacrifices pour les connaître et apprendre la langue est un moyen de toucher leur cœur. En apprenant la langue on apprend aussi la culture. Ça peut prendre des années, c’est dur d’apprendre. Je ne veux pas être dogmatique, mais pour moi la meilleure stratégie c’est d’être avec eux. C’est le ministère de la natte et du thé : s’assoir et partager du temps avec eux. Ça permet de parler de Dieu, d’ouvrir la Bible ensemble et d’étudier.
Apprendre la langue, ça exige du temps, ça exige du sacrifice. Ce genre de ministère n’est pas une course de 100 mètres mais d’endurance. Si on gagne leur confiance, on peut littéralement entrer dans une famille peule.
Vous êtes référent des ministères peuls chez SIM depuis 2016. Combien de missionnaires sont à l’œuvre parmi les Peuls ?
Oui, en tant que référent, mon rôle est d’être consultant et conseiller auprès des équipiers qui travaillent parmi les Peuls. Mais j’ai également un rôle de mobilisation et de formation pour favoriser le recrutement de nouveaux missionnaires pour le travail avec ce peuple. Chez SIM, à l’international, nous sommes actifs dans plusieurs pays. Au Nigéria nous avons 5 ou 6 familles, soit une vingtaine de personnes qui travaillent avec Témoin Fidèle. Au Niger, ils sont à peu près 15. Trois en Guinée, un en Côte d’Ivoire et huit au Ghana. De plus en plus de chrétiens africains sont envoyés par leur Église auprès des Peuls.
Notez-vous des évolutions positives ?
L’Église peule devient de plus en plus mature et grandit en nombre. Elle grandit en compréhension de la mission et nous cherchons à la mobiliser pour la mission.
Au Bénin, il existe une association d'Églises peules ! Les pasteurs peuls sont formés. Mais c'est un cas rare au Sahel.
Parlez-nous d’un ministère qui vous touche particulièrement.
J’ai beaucoup aimé le ministère d'une famille qui, de 2016 à 2020 environ, dirigeait TIMO au Niger. C’est un programme de 2 ans dont l’idée est de s’implanter en équipe dans un village de brousse pour apprendre la langue et la culture. Ils avaient une manière de vivre avec les Peuls qui est belle. Ils ont construit des petites maisons rustiques. Ils ont cultivé un petit champ qu’on leur avait donné (ils sont agronomes) et ont passé du temps avec les Peuls. Aujourd’hui, il y a une dizaine de chrétiens, dont le chef du village qui s’est converti en premier. Je vois là l’application du type de ministère qui, je trouve, sont vraiment pertinents.
Merci, Jon.
Article issu du magazine S'IMMERGER n°29
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