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  • Philippe Hutter

[Portrait] Albert Schweitzer - Le Grand Blanc de Lambaréné

Dernière mise à jour : 12 nov. 2020

Quand, en 1913, Albert Schweitzer débarque au Gabon, il n’a comme ambition que de servir les plus faibles ; bien malgré lui, il deviendra un héros de l’humanitaire et un symbole du paternalisme occidental. De ce parcours étonnant, il est possible de tirer bien des pistes utiles pour la mission d’aujourd’hui...


Fresque en l’honneur d’Albert Schweitzer peinte à Mulhouse
Fresque en l’honneur d’Albert Schweitzer peinte à Mulhouse

Une personnalité hors normes


Albert Schweitzer était un homme de paradoxes : né allemand dans l’Alsace de 1875, il est réintégré dans la nationalité française après la Première Guerre mondiale ; grande figure du protestantisme français, il reste mal connu en France ; missionnaire, il a œuvré parallèlement aux organisations missionnaires de son époque ; il a acquis une stature mondiale en consacrant sa vie à un petit hôpital de brousse au Gabon...

Son parcours est impressionnant : docteur en philosophie, en théologie et en médecine, il a trouvé dans sa vie le temps d’être à la fois enseignant en théologie, vicaire de la paroisse Saint-Nicolas à Strasbourg, auteur prolifique, organiste et concertiste, grand spécialiste de Bach, conférencier, militant contre la course aux armes atomiques (avec Albert Einstein) et l’un des précurseurs de l’écologie...

Il a reçu au cours de sa vie de nombreuses distinctions prestigieuses, dont le Nobel de la Paix en 1952.


Le « respect de la vie »


Albert Schweitzer fondait sur la notion de « respect de la vie » une éthique qu’il voulait élémentaire et universelle : "Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre".

À ce titre, il est considéré comme l’un des précurseurs de l’écologie, mais pour lui le « respect de la vie » dépasse de beaucoup le seul respect de la vie biologique.


Le village – hôpital, un modèle d’adaptation à une réalité locale


"Réaliser un hôpital à l’européenne n’était pas pensable, n’aurait pas été adapté et de toute façon n’était pas possible financièrement. C’est dans cet état d’improvisation forcée, répondant aux besoins de l’heure et correspondant aux « moyens du bord », que fut « inventée » la formule originale du village-hôpital qui fera progressivement la renommée de son fondateur, mais qui prêtera aussi, vers la fin de sa vie, le flanc à des critiques. (...) Aujourd’hui, certaines illusions se trouvant dissipées, l’extension d’une certaine modernisation, sur le modèle occidental, se trouvant mise en cause, on reconnaît à nouveau mieux l’originalité « africaine » de l’œuvre de Schweitzer à Lambaréné, son heureuse adaptation à la situation, aux besoins et aux coutumes de ce pays, « entre eaux et forêt vierge »".[1]


La mission holistique


Sur le terrain, son engagement missionnaire prend une orientation résolument humanitaire ; il met en résonnance, sans les opposer, l’ordre missionnaire chrétien et l’ordre humanitaire a priori laïque, en prenant en compte l’être dans sa globalité et en intégrant foi et action médicale ("je crois dans la mesure où j’agis" écrit-il).


L’hôpital de Lambaréné, une ONG qui s’ignore


Schweitzer tenait à ce que son œuvre soit « supra-confessionnelle et internationale », convaincu que « toute tâche humanitaire en terre coloniale [terme pris dans son acceptation géographique, nous dirions aujourd’hui sur le champ de mission] incombe non seulement aux gouvernements ou à des sociétés religieuses, mais à l’humanité comme telle » [2]. Schweitzer définit de fait le concept d’ONG …


Un héritage incontestable... et contesté


Dans les sermons prononcés à l'église Saint-Nicolas de Strasbourg avant 1914, Albert Schweitzer avait explicitement critiqué les entreprises coloniales de l'Allemagne et les méthodes violentes utilisées dans ses colonies. Pourtant, dans le contexte général de la décolonisation, la figure du Docteur Schweitzer est contestée.

  • En septembre 1962, Jeune Afrique publie un article de Jane Rouch, « Le scandale de Lambaréné » qui dénonce les carences de l'hôpital et le regard condescendant que le médecin porterait sur les Africains.

  • Dans Le Grand Blanc de Lambaréné (1994), le cinéaste camerounais Bassek Ba Kobhio brosse le portrait contrasté d'un homme infatigable et passionné, mais autoritaire et paternaliste.

  • En 2013 – centenaire de l'arrivée de Schweitzer en Afrique –, le Gabonais Augustin Emane fait le bilan des huit années d'enquêtes de terrain, auprès de ceux qui l'ont connu ; il montre comment, érigé en mythe en Occident, il a également accédé, bien différemment, au statut d'icône au Gabon, statut qu’il y a largement conservé.

  • En 2014, le camerounais Noël Bertrand Boundzanga, rebondit sur la notion de « malentendu productif » développée par Emane et publie Le malentendu Schweitzer.

  • Le philosophe français Jean-Paul Sorg déplore à son tour que la dénonciation par Schweitzer des atrocités du colonialisme, bien avant la Grande Guerre, n’ait pas été prise en compte.

  • Selon le théologien français André Gounelle, les attaques virulentes dirigées contre lui tiennent largement des partis pris idéologiques et du « goût de démolir les célébrités », et il se demande aussi si elles ne traduiraient pas une forme de malaise, la pensée et l'action du docteur Schweitzer renvoyant chacun à ses propres responsabilités.

"On en a fait un saint, ce qui est une erreur, avant d’en faire un repoussoir, ce qui l’est également. Albert Schweitzer a su s’affranchir des écrits philosophiques et théologiques allemands de son époque, pour qui le Noir est dans l’animalité́. Pour lui, l’humanité́ est une" écrit Mathieu Arnold [3].


Quelle place pour Albert Schweitzer dans la missiologie évangélique au 21ème siècle ?


Albert Schweitzer a contribué à la réflexion missiologique dans le contexte de son époque, avec ses convictions et ses positions théologiques personnelles. Que l’on soit en accord ou non avec cet apport, il existe et doit être pris en compte, que ce soit pour le combattre, le corriger… ou l’adopter !

La vision holistique qu’il portait sur le monde et sur l’œuvre missionnaire est largement présente au cœur des valeurs de SIM – avec une différence significative sur sa position théologique libérale, là où SIM insiste sur l’importance de la proclamation orale, explicite, du message intégral de l’Évangile.

De même, son approche du village-hôpital, holistique, pragmatique et adaptée aux réalités concrètes du terrain, ne peut que susciter l’intérêt de SIM, qui cherche les meilleures approches pour franchir les barrières pour proclamer Christ, en vivant l’Évangile parmi ceux qui vivent et meurent sans Lui.

Son désir de créer une œuvre qui ne se limite pas aux frontières d’une organisation résonne aussi fortement dans le contexte actuel où SIM s’engage dans des partenariats multiples pour mutualiser les ressources et les compétences.

100 ans après son arrivée au Gabon, l’œuvre qu’il a développée au service des Gabonais demeure active au service de la population et inclue un des rares centres de recherche sur les maladies tropicales en Afrique et un village de lépreux. Quand on parle de ministère durable...


 

[1] Walter MUNZ (Publié dans les Cahiers Albert Schweitzer N°93, Septembre 1993, p.23-25) [2] À l’orée de la forêt vierge [3] Albert Schweitzer, la compassion et la raison, éd. Olivetan

 

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